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Aux origines du Qi Gong (2)

Dernière mise à jour : 19 sept. 2019

Cet étude approfondit et développe les éléments historiques abordés dans mon précédent article : "Aux origines du Qi Gong (1)". Prêts à prendre votre envol ?







Un homme se tient debout immobile face à un arbre, yeux clos, paumes posées contre l’écorce, recueilli, il respire profondément. Un peu plus loin une femme âgée élève doucement les bras vers le ciel comme pour recueillir une énergie invisible au creux de ses paumes. Puis ses mains redescendent doucement devant son visage et sa poitrine, une fois arrivées devant son abdomen, elle déploie à nouveau ses bras et recommence, pleinement absorbée, dans sa gestuelle éthérée. Un peu plus loin, un groupe de personnes vocalise des voyelles profondes, « o », « a », les sons se succèdent, accompagnés de mouvements lents, ballet de gestes envoûtants. Nous sommes en Chine, dans un parc public, il est six heures du matin, et toutes ces personnes s’adonnent à la pratique du Qi Gong. Une Pratique qui, à l’aube, côtoie le célèbre Taichi Chuan. Moins connu que ce dernier, le Qi Gong grandit en réputation et en nombre de pratiquants depuis quelques années, en Occident. Gymnastique énergétique, pratique de santé, technique respiratoire, méthode bien-être ou méditation en mouvement, les appellations que l’on donne à cette discipline se croisent et se côtoient sans pour autant la définir clairement, et bien souvent même, nombre de ses pratiquants ne connaissent pas vraiment ses origines, son histoire, ses influences et son évolution à travers le temps.


Une histoire du Qi Gong


Prenons simplement le terme de Qi Gong, que nous définirons littéralement plus loin : bon nombre de personnes qui le côtoient pensent que ce nom émerge de la nuit des temps, alors qu’en réalité, sa présence dans des textes anciens n’est que rarissime, se référant, de plus, à une pratique bien différente de celles qu’englobent aujourd’hui ce terme générique. Ainsi, la première trace que l’on retrouve du terme Qi Gong dans ce passé lointain nous vient d’un texte taoïste de la dynastie des Tang (618-910), avec le sens de « procédé du souffle », méthode combinant le Souffle externe, au travers d’exercices de respiration et de gymnastique, le Souffle interne, le Qi, utilisé, lui, dans les techniques de visualisation et de concentration interne. Un peu plus tard, sous la dynastie des Song (960-1270), il réapparaît à nouveau, avec cette fois un sens légèrement différent « d’efficience du souffle » (et nous verrons plus loin de quel souffle il s’agit). Le sens donné aujourd’hui officiellement au terme Qi Gong associe ces deux acceptions anciennes de « procédé du souffle » et « efficience du souffle », termes extraits de leur contexte taoïste traditionnel, pour être assignés de manière générique à un ensemble de pratiques issues de contextes divers (prophylactiques, martiales, méditatifs).


Revenons donc à l’époque moderne, car ce n’est qu’au début du 20e siècle que l’utilisation du terme Qi Gong devient un peu plus récurrente, et clairement associée a des pratiques corporelles. Ainsi, le terme Qi Gong apparaît dans les années 20 dans un ouvrage d’arts martiaux, les « Explications précises du Qi Gong » (Qigong miaojie), rédigé par Zun Wozhai. Mais ce n’est qu’en 1934 que le terme Qi Gong commence à être véritablement défini comme une méthode corporelle de soin et de santé, avec la publication par l’hôpital Xianglin de Hangzhou, du livre intitulé « Un traitement spécial pour la tuberculose : la thérapie par le Qi Gong » (Feilaobing Teshu liaoyangfa : qigong liaofa). Puis, toujours dans les années 30, apparaît la première clinique basée sur l’utilisation du Qi Gong comme pratique thérapeutique, l’Institut thérapeutique de Gongpu, clinique créée par Fang Gongpu, qui, en 1938, publie également les « Expériences de thérapie par le Qi Gong ». Mais le véritable essor du Qi Gong comme gymnastique « énergétique » date des années 50, avec en 1955 la reconnaissance officielle du Qi Gong par le ministère chinois de la santé. Le Qi Gong devient ainsi une catégorie à part et une branche de la Médecine traditionnelle chinoise. Il faut savoir qu’à cette époque les fondateurs du Qi Gong moderne ont largement cherché à le débarrasser de ses éléments traditionnels (taoïsme, alchimie interne) pour le reformuler dans un cadre strictement scientifique. Depuis les années 50, le Qi Gong s’est largement répandu dans la société chinoise pour y prendre une place prépondérante en tant que pratique de santé et de bien-être. Et une fois les émois (humour tchèque ?) de la révolution culturelle estompés, le Qi Gong, en plus de ses bases issues de la médecine traditionnelle chinoise, s’est à nouveau paré de toutes ses composantes traditionnelles, reliées aux pratiques anciennes d’entretien du principe vital « Yang Sheng » et à l’alchimie taoïste interne « Nei Dan ». Précisons que le terme Yang Sheng pourrait, lui, se traduire par « Nourrir la vie » et que le Qi Gong moderne, avec le Taichi santé, en est de nos jours la manifestation contemporaine et la figure de proue.



Qi Gong & Yang Sheng


Penchons-nous à présent sur le terme Qi Gong dans sa signification littérale. Le mot Qi Gong est tout d’abord formé de deux caractères, Qi 气 et Gong 功. Le caractère Qi est le plus communément traduit par Souffle, même si en Occident on lui attribut trop souvent la traduction erronée de « énergie ». Le souffle dont il est question ici ne fait pas référence à la respiration pulmonaire même si cette dernière en est une des multiples manifestations. Le Qi, le Souffle (j’utilise ainsi un « S » majuscule pour le différencier de la simple respiration pulmonaire) c’est ce flux invisible qui anime toutes choses, et en ce sens tout « respire ». C’est la trame invisible et vivante du monde manifestée. Une substance qui circule donc également dans et à travers le corps. Dans le contexte de la médecine traditionnelle chinoise c’est cette substance vitale qui circule dans les méridiens d’acupuncture et anime tous les organes.

Le Qi, le Souffle, c’est ce flux invisible qui anime toutes choses, et en ce sens tout « respire ». C’est la trame invisible et vivante du monde manifestée. Une substance qui circule donc également dans et à travers le corps.

Mais cette notion de Qi, de Souffle, renvoie aussi à la cosmogonie chinoise traditionnelle. Ainsi, comme nous l’avons vu plus haut, dans la nature, dans l’univers tout « respire », tout est animé par ce grand Souffle. Du microcosme au macrocosme tout est ainsi tissé de Souffle, tissé de Qi. Si nous replaçons cette notion dans le cadre de la pratique, le Qi peut être dirigé par l’esprit (Xingqi), il peut être projeté vers l’extérieur du corps (Faqi) ou encore il peut être diffusé de telle sorte à créer une sorte de champ énergétique entre pratiquants rassemblés dans un même espace, et augmenter ainsi l’efficacité du Qi Gong. Le caractère Gong est quant à lui le plus souvent traduit par « travail », il est également fortement associé à l’univers des arts maritaux (aussi mais martiaux c’est mieux) puisqu’on le retrouve dans le fameux terme Gong Fu (ou Kung Fu, comme on l’écrit le plus souvent). Car Gong est composé à lui seul de deux caractères, le caractère « travail » et le caractère « force ». Il traduit le temps, la force de caractère et la persévérance nécessaire à l’accomplissement d’une œuvre, on pourrait aussi donc traduire Gong par « labeur », à l’image du laboureur qui travaille patiemment son champ pour en faire jaillir une vie nourricière. Cette dernière interprétation nous rapproche bien plus de notre terme de Qi Gong que la traduction littérale de « travail du Qi », puisqu’en Qi gong il s’agit en quelque sorte de « cultiver notre Qi » et de le faire circuler dans notre corps à la manière de ce laboureur qui se doit non seulement de labourer mais aussi cultiver en irriguant son champ. En parlant de champ, nous pourrions aussi évoquer cet espace vital essentiel au Qi Gong situé au centre du bas ventre, au centre du bassin, nommé Dan Tian "Champ de cinabre », lieu de stockage et transmutation du Qi par excellence. Espace issu de l’alchimie taoïste qui nous rappelle une fois de plus la filiation entre le Qi Gong moderne et l’antique tradition taoïste du Nei Dan, l’alchimie interne.

« la seule chose qui ne change pas, est que tout change tout le temps » Yi Jing (8ème S. avt JC)

Finalement, nous pouvons voir qu’à travers cette idée de « cultiver son Qi » le Qi Gong moderne se place dans la continuité directe des méthodes pour « nourrir le principe vital », "nourrir la vie », Yang Sheng, ou encore des « procédés du souffle » de la dynastie des Tang que nous évoquions au second paragraphe. La pratique moderne fait ainsi le lien avec la tradition ancienne, et la pensée taoïste qui place l’Homme entre ciel et terre et l’invite à un retour vers l’équilibre par l’écoute du monde extérieur (macrocosme) et du monde intérieur (microcosme). Nous pouvons voir que l’origine du Qi Gong se situe ainsi entre filiation informelle et véritable chronologie historique. Le passé rejoint le présent, l’ancien se mêle au nouveau. Cela est particulièrement visible à travers de nombreuses méthodes de Qi Gong qui plongent leurs racines bien avant la formalisation de ce terme, et qui ont évolué à travers le temps. Des méthodes tels les Ba Duan Jin « Huit pièces de brocart » ou les Yi Jin Jing « Méthode de transformation des tendons », méthodes issues de la tradition taoïste et des ses pratiques d’alchimie interne (Nei Dan), mais qui se sont transformées, adaptés au fil du temps, pour devenir des méthodes de Qi Gong parmi les plus pratiquées en Chine. Ou le fameux « Jeu des cinq animaux », Wu Qin Xin, attribué au célèbre médecin Hua Tao et s’inspirant des mouvements des cinq animaux que sont le tigre, l’ours, le singe, le cerf et la grue. Et il y a encore les Liu Zi Jue, méthode des « Six sons » dont la vibration vise à réguler et équilibrer le Souffle des différents organes. Sans oublier les nombreuses méthodes de Qi Gong créées depuis les années quatre-vingt, non moins efficaces que leurs illustres ainées, et développées dans de nombreux hôpitaux chinois. Ainsi, l’histoire du Qi Gong plonge ses racines dans la nuit des temps, se nourrissant de l’ancien pour faire éclore le nouveau, soutenant par là l’un des plus célèbres adages de la tradition chinoise : « la seule chose qui ne change pas, est que tout change tout le temps ».


Daniel

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